L'arbre de Noël (Nouvelle)

01 décembre 2007

1er décembre 1978. Thomas attendait ce moment-là depuis son anniversaire. Ses parents disaient qu’il aurait deux mois et demi à attendre, mais le petit savait, après avoir compté les jours sur le calendrier aidé de sa maman, que ce serait dans 72 dodos. Petit-Tom, comme l’appelait sa famille, avait eu six ans le 22 août et, en plus de la bicyclette rouge tant désirée, il avait reçu un cadeau bien spécial qui avait rempli ses yeux d’étoiles; une petite branche de sapin dans une enveloppe verte. Il en savait toute la signification pour avoir vu ses frères aînés la recevoir les années précédentes. Son père lui signifiait ainsi qu’il était maintenant un « grand », presque un homme, c’est lui qui l’accompagnerait dans la forêt, le soir du premier jour de décembre, pour choisir le sapin qui ornerait le salon jusqu’à l’année suivante. La bicyclette n’avait plus aucun intérêt, les yeux ronds, Thomas fixait la petite branche, retenant avec grandes peines ses larmes, puisqu’un homme, ça ne pleure pas.

Soir après soir, Petit-Tom avait fait des croix sur son calendrier. Chaque dodo le rapprochait un peu plus du jour qu’il avait orné d’un sapin rouge. Enfin, ce jour arriva. En ce vendredi de décembre, Thomas s’était levé aux aurores. Bottes d’hiver aux pieds, mitaines aux mains, toujours en pyjama, il était allé réveiller son père qui l’avait rapidement renvoyé au lit, il devait être en forme pour aller à l’école. Comment pourrait-il se concentrer à apprendre à lire et écrire alors qu’il vivrait le moment le plus merveilleux de sa jeune vie? Toute la journée, il avait fixé l’horloge, ne sachant pas lire l’heure, il savait tout de même que lorsque les deux aiguilles seraient en haut, il aurait déjà la moitié de la journée de fait. Lorsque la cloche annonçant la fin de la journée avait sonné, Thomas s’était précipité vers l’autobus qui ne roulait pas assez vite à son goût.

Arrivé à la maison, il avait été déçu de voir que son père n’arriverait pas avant 17 h et qu’il faudrait attendre après le souper et les devoirs avant de pouvoir commencer ce qui lui apparaissait être une grande aventure. Il trépignait d’impatience et ne toucha pas à son repas, délaissant même son dessert préféré. Plus la soirée avançait, plus Petit-Tom croyait que le moment n’arriverait jamais. Déçu, il s’était enfermé dans sa chambre et regardait la neige tomber dehors. L’horloge du couloir venait de sonner ses huit coups et il entendait des pas montant l’escalier, persuadé que c’était sa mère qui venait lui dire de se mettre au lit, l’enfant s’était caché dans le placard.

L’ombre qui avait surgi dans le cadre de la porte, exposant ses joues couvertes de larmes à la lumière, avait été différente de celle à laquelle il s’attendait. Son père, bonnet sur la tête, lui avait tendu la main, lui demandant : « Tu ne veux plus venir mon bonhomme? ». Les ruisseaux cessèrent immédiatement de surgir des yeux de Thomas et il se précipita dans les bras de son père.

Quelques minutes plus tard, il était dehors à chausser les raquettes de son frère. Et c’est alors que son père lui avait présenté l’arme du « crime », une hache (en jouet bien sûr) à sa taille. Solennel, il l’avait posé sur son épaule, tout comme son père. Ce dernier avait sorti la luge pour ramener la « prise ». Son papa lui avait proposé d’y prendre place, mais se souvenant que c’était parce qu’il était « grand » qu’il avait l’honneur d’être là, il avait refusé, gonflant la poitrine de fierté. C’était ainsi qu’ils étaient partis, le Petit-Tom essayant tant bien que mal de mettre ses pieds « palmés » de raquettes dans les traces de son père. Bientôt, les lumières dont était décorée sa maison avaient disparu dans l’obscurité de cette nuit magique où seule la lune faisait office de lanterne, telle était la tradition. Ils avaient marché pendant près de 20 minutes qui, normalement, auraient dû paraître une éternité pour le petit garçon, mais ces précieuses minutes avaient passé à la vitesse de la lumière. Son père s’était arrêté devant de jolis spécimens. Celui-ci leva le manche de sa hache, à bout de bras, devant son visage pour évaluer la droiture des arbres qui se présentaient devant lui, regardant du coin de l’œil son Petit-Tom qui faisait la même chose avec sa hache-jouet. Papa s’était retourné pour demander à son benjamin le choix qu’il avait fait. Les yeux écarquillés encore une fois de se voir confier une mission aussi importante, il s’était acquitté de sa tâche avec sérieux; secouant un arbre par là, tirant sur les branches d’un autre plus loin. Son choix s’était arrêté sur un sapin qui lui semblait parfait. Il s’était retourné pour avoir l’approbation de son père, celui-ci le gratifia d’un immense sourire, approuvant parfaitement son choix.

Les mains sur celles de son père, il l’avait aidé à scier l’arbre de son choix et c’était lui qui avait donné la poussée finale qui avait fait tomber le futur empereur du salon. Celui-ci avait été installé et ligoté sur la luge pour être ramené à la maison. Le chemin du retour lui avait semblé très long, mais jamais il ne l’aurait avoué. Ses jambes avaient du mal à le porter et il n’essayait plus de marcher dans les pas de son père. C’est à ce moment-là qu’il aurait aimé prendre place dans la luge, mais celle-ci contenait déjà le merveilleux sapin.

Lorsqu’il était arrivé à la maison, sa mère l’avait accueilli avec un chocolat chaud qu’il avait bu après avoir enfilé son pyjama qui avait été mis au chaud. Il aurait voulu décorer SON sapin immédiatement, mais son papa lui avait expliqué qu’il devait attendre que celui-ci soit dégelé. Pensant que ça prendrait quelques minutes, Petit-Tom s’était assis dans le grand fauteuil, face à la cheminée et au sapin, placé sur son socle, dont les branches commençaient graduellement à descendre. C’est roulé en boule, le sourire aux lèvres, que Thomas s’était endormi, bercé par le crépitement du feu et par les souvenirs de cette magnifique soirée…

« Papa, papa! », Petit-Tom, maintenant grand, sortit brusquement de ses doux souvenirs. Jérémie, à ses pieds, le regardait d’un air songeur, « Papa, pourquoi tu m’as donné une branche de sapin, c’est un jouet Spider-Man que je voulais pour ma fête! ». Le père, attendri, sourit, s’assit par terre près de son fils et lui raconta la plus belle nuit de sa vie…

© Jessica H.-M.